Janvier 2023 : Cet ouvrage vient d'être réédité, en tirage à la demande. Il s'agit d'une nouvelle édition entièrement recomposée, identique à l'édition originale, et non d'un fac-similé de mauvaise qualité. L'ouvrage de 370 pages est disponible en grand format (18x25cm) en version brochée (couverture souple), en version reliée (couverture rigide), ou bien en 4 petits fascicules à prix étudié, reprenant chacun une des quatre grandes parties de l'ouvrage). Une version Kindle est également disponible.

L'objectif de cette réédition était uniquement de proposer une lecture plus facile et agréable, et pour cela, l'ouvrage a entièrement été remis en page. Pour aider le lecteur à actualiser ses connaissances, une bibliographie mise à jour a été ajouté.

Châteaubriant, baronnie, ville et paroisse



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Chapitre VII (suite)




24 avril 1795. - Cependant les négociations continuaient entre les chefs des deux partis . Le 24 avril, Palierne, Erondelle, Terrien, Texier, Monnier, Goulay, Guesne de Bourmon, Becdelièvre, Méaulde et autres chefs du parti royaliste se présentent au Directoire, disant que le 1er de ce mois, ils signeront, ainsi que les autres chefs, l'acte de reconnaissance de la République ; qu'ils ont renoncé à porter les armes contre elle ; qu'enfin, la paix, l'union et la fraternité ont été assurées et acceptées dans les conférences qui ont eu lieu à la Mabilais, près Rennes, avec les représentants du peuple ; que ce jour étant un jour de grâce et de miséricorde, ils demandent l'élargissement des personnes détenues à raison des services rendus à leur parti, aussi bien que des militaires en prison pour cause d'indiscipline. (1)

La demande fut accordée : on mit en liberté quatre femmes royalistes et plusieurs militaires.

La disette continuait : pour obtenir plus facilement des blés des paysans, on leur proposa des fers en échange, objet dont ils avaient le plus grand besoin. On établit le tarif des échanges ; on donnait 100 livres de fer pour 100 livres de froment ; 85 livres de fer pour 100 livres de seigle, etc. Cet état de souffrance de la ville ne reçut pas d'amélioration pendant les mois qui suivirent. C'est qu'il y avait division parmi les chefs des bandes : les uns avaient fait acte de soumission à la République ; mais il y en avait d'autres qui avaient juré de ne jamais la reconnaître. Le pays était donc toujours sous les armes, et tous les faits que nous avons rapportés précédemment se reproduisent pendant tout le reste de l'année 1795 : enlèvement de fourrages, blés et bestiaux dans toutes les fermes voisines de la ville ; désarmement des militaires sur les routes et jusque dans les faubourgs ; arrestation de tous les courriers, etc., etc. (2).

28 juillet 1795. - Les chouans reparurent avec une nouvelle audace au nord du district. Le 28 juillet, la verrerie de Javardan, commune de Fercé, fut pillée et brûlée ; les citoyens Demolon père et fils, qui en étaient fermiers, furent tués, avec le principal ouvrier. La comité de salut public de la Convention arrêta qu'un poste suffisant de cavalerie et d'infanterie serait établi près de la verrerie, pour escorter les transports et protéger les ouvriers.

Mais le fait le plus curieux des annales de la chouannerie en ce pays, est celui que raconte le général Hugo (3) dans ses mémoires. Nous allons le transcrire intégralement, laissant à l'auteur la responsabilité de ses appréciations, qui ne sont pas les nôtres, et peut-être des exagérations de parti que nous ne sommes pas à lieu de rectifier. Il dut se passer dans l'un des mois de juillet, août ou septembre 1795.




MÉMOIRES DU GÉNÉRAL HUGO (4). – Chap. 8,

Tiré de la collection des mémoires des maréchaux et des généraux de France (chez l'Advocat, lib., 1823).


Confédération prudente. - Prodigieux fait d'armes. - Horrible assassinat.


« Les environs de Blains s'étant ressentis très-promptement de la valeur et de l'activité des colonnes mobiles, on nous en fit partir pour occuper la petite ville de Châteaubriant, dans le voisinage de laquelle le 8e bataillon de la Somme, commandé par le chef de bataillon Lucas, se trouvait journellement aux prises avec de nombreux partis de chouans. Une compagnie de canonniers du Bas-Rhin y avait également été envoyée pour y servir comme infanterie, en punition d'avoir trop ouvertement manifesté dans Nantes l'horreur que lui inspiraient les couleurs vendéennes. Cette compagnie, qui dans Mayence s'était fait remarquer parmi celles de son arme, ne se distingua pas moins comme infanterie, et fut toute entière placée dans une colonne dont les membres avaient juré entre eux de ne s'abandonner jamais dans le péril. Ce serment, assez en usage parmi les troupes légères, donna lieu bientôt à un fait d'armes resté enseveli dans la masse immense de nos trophées et que je veux rapporter ici, parce qu'il est un des plus étonnant et des plus généreux qui peut-être aient embelli les fastes d'une nation.

» Au milieu du vaste foyer que le général Hoche attaquait de toutes parts, avec autant de talent que de succès, dix-sept communes des environs d'Ercé voulurent se garantir des malheurs qui avaient désolé le pays d'outre-Loire. Le curé de ce village, homme sage et vertueux, prêchait sans crainte et constamment la soumission aux lois ; il retenait le cultivateur à sa charrue, le propriétaire à son domaine et le marchand à son négoce. Les communes dont je parle, voyant l'heureux résultat de la conduite évangélique de ce vertueux pasteur, s'entendirent avec lui et avec la troupe qui protégeaient les forges de Martigné. Alors une ligue offensive et défensive fut arrêtée entre eux ; les chouans paraissaient-ils sur le territoire confédéré ? on y sonnait le tocsin ; quelques coups dans les intervalles annonçaient la direction de l'ennemi, et, de toutes parts, on marchait aussitôt à sa rencontre. Les chouans se bornaient-ils à prendre du bétail, à tuer quelques hommes ? un parti d'élite allait enlever à l'ennemi d'autre bétail en nombre double, et ne rentrait qu'après avoir pris ou tué le double d'ennemis. La persévérance dans ces mesures rendit le territoire confédéré si respectable, que les chouans n'osèrent plus y remettre les pieds. Le courrier de la poste traversait ce territoire pour venir à Châteaubriant ; il changeait d'escorte à Martigné, bourgade distante de trois lieues de ce premier point, et cette escorte se relevait à un rendez-vous connu d'avance par un détachement de Châteaubriant, fort d'environ 50 hommes, tous du 8e de la Somme et des canonniers du Bas-Rhin. Un matin que cette escorte se trouvait commandée par le capitaine Schmit, du 8e de la Somme, elle arriva au rendez-vous et n'y trouva point le détachement de correspondance. Ayant vainement attendu pendant près d'une heure, chose qui jamais n'avait eu lieu, elle soupçonna quelque mésaventure, et, comme le pays est extrêmement couvert (les détachements de Martigné s'y faisaient, dit-on, flanquer par chiens dressés à cet effet), elle résolut de s'avancer sur ce bourg, afin de débarrasser la correspondance si elle était engagée. Quand elle fut arrivée au point d'où il se découvre, elle reconnut qu'il était occupé par l'ennemi et que la garnison des forges, vivement resserrée par un rassemblement qu'on sut être de 10 à 12,000 hommes, se retirait difficilement vers Ercé. Abandonner cette petite garnison au milieu d'un si grand péril parut une action indigne de braves gens ; il faut périr avec elle ou la sauver, s'écria le capitaine Schmit ! Le lieutenant Probst répéta ces paroles en allemand, et les 150 hommes s'écrièrent à leur tour : il faut périr avec nos camarades ou les délivrer !

» Le détachement continue alors à s'approcher à grand pas ; la défense de tirer sans ordre lui est intimée, et bientôt il entre sans bruit dans Martigné, en proie au pillage ; il le couvre de morts dans sa rapide traversée, et ce n'est qu'en débouchant vers la garnison en retraite qu'il fait entendre le son de sa terrible décharge. Alors les soldats s'élancent comme des furieux sur la multitude ennemie ; la garnison étonnée s'arrête, écoute et, jugeant qu'elle doit trouver son salut dans l'attaque la plus audacieuse, fait aussi battre la charge en revenant vers les braves qui volent à son secours. Bientôt, au milieu des coups de fusils et de baïonnettes, on se serre, on s'embrasse, on veut mourir avec le secours ou se sauver par lui, et de tous côtés l'arme favorite se rougit d'un sang ennemi, mais malheureusement français.

» Cependant les chouans, mis en désordre partout où venait de frapper le terrible détachement, étaient en trop grand nombre pour s'effrayer de tous les efforts d'une poignée de braves ; malgré leurs pertes énormes dans le bourg, malgré celles qui se multipliaient sous les coups des deux troupes, ils revenaient sur elle avec une espèce de rage, honteux qu'elles leur arrachassent l'honneur de se maintenir dans Martigné. Partout où frappaient ces troupes, elles causaient de grands vides ; mais, comme elles avaient à résister sur tous les points, il était à présumer qu'elles périraient entières sous des efforts si multipliés, et c'était peut-être la seule réflexion qu'elles ne fissent point.

» Tout-à-coup la scène change ! Une très-vive mousqueterie se fait entendre derrière les chouans : ceux-ci, pris entre deux feux, s'ouvrent en désordre et bientôt cherchent de toutes parts leur salut dans le fuite ! Les républicains voient alors arriver à eux une masse énorme de paysans armés et couverts, pour panaches, de feuilles de feuillage. Leur général à cheval, ce digne curé d'Ercé, accourt au brave Schmit et au commandant de Martigné qu'il embrasse.

» Maintenant, leur dit-il, que vous avez si bien fait, laissez-nous achever votre ouvrage. Nous allons poursuivre l'ennemi. Si vous vous joigniez à nous, quelque malheureuse méprise pourrait avoir lieu ; allez reprendre vos postes et laissez-nous agir.

» Les chouans, qui tremblaient au seul nom de la confédération d'Ercé, abandonnèrent le champ de bataille couvert de leurs morts. La garnison entra dans les forges et les 150 hommes de Châteaubriant revinrent à la nuit dans les murs de cette ville, après s'être joints en route à un détachement envoyé au-devant d'eux par le chef de bataillon Lucas.

» Quoique je n'aie pas eu l'honneur de participer à ces éclatant fait d'armes, j'en garantis l'exactitude. A cette glorieuse époque, je touchais au moment de rejoindre mes camarades, dont une maladie grave et une courte convalescence m'avaient forcément éloigné.

» Muscars ayant pris le commandement de Châteaubriant (5), battit l'ennemi en plusieurs rencontres. C'est pendant qu'il s'y trouvait qu'eut lieu l'assassinat le plus horrible dont les annales du fanatisme et de l'égarement puissent faire mention. Un paysan de Sion travaillait dans les terres voisines de la route de Rennes, et tenait caché près de lui un fusil chargé à balles. Un soldat, convalescent d'un coup de feu reçu à l'armée du Rhin, allait se rétablir chez son père, et malgré tous les conseils de ne pas devancer l'escorte de la diligence, s'en était séparé à la vue de son village ; le paysan le voyant venir, s'embusque, l'ajuste et l'étend sans vie. A peine le vit-il en cet état, qu'il courut avec sa femme pour dépouiller sa victime. Un porte-feuille contenant une feuille de route et un havre-sac mal garni formaient le seul butin qu'elle leur présenta. L'escorte de la diligence ayant paru presque aussitôt après cet assassinat, le paysan et sa femme se sauvèrent, et on ne put les rejoindre, parce que les troupes ne pouvaient s'attacher à leur poursuite. Rendus chez eux, un voisin leur lut la feuille de route, et ils y reconnurent le nom et le signalement de leur fils unique. Alors la mère se précipita sur un couteau, et le père, dans un égal désespoir, alla lui-même se livrer à la justice. »







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