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Châteaubriant, baronnie, ville et paroisse



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Chapitre V (suite)




Le danger parut si pressant dès le commencement du siège, que le duc d'Orléans écrivit, de Rennes, le 16 avril, aux habitants de Tréguier, pour leur demander du secours ; voici cette lettre, qui témoigne à la fois de l'importance que l'on attachait au siège de Châteaubriant et du triste état où se trouvait alors le duché de Bretagne.

« Messieurs, vous avez pu savoir comment mardi dernier, environ midi, les Français vinrent mettre et apposer le siège à Châteaubriant, là où ils sont encore de présent, tendant de tout leur pouvoir à la prise dudit Châteaubriant, et de là entrer plus en avant pays pour conquester cette principauté et du tout détruire M. notre cousin, le duc, et mes cousines, ses filles. A quoi ô l'aide de Dieu le créateur, des bons, loyaux parents, serviteurs et sujets de Monsieur notre cousin le duc, pensons y résister et faire lever le siège de devant ladite place. Pourquoi vous prions et, en tant qu'à nous est, mandons, sommons et requerrons qu'à ce coup vous acquitter et faites assembler en votre quartier toute manière de gens qui peuvent porter armes et batons, et tout incontinent et en diligence les amenez en cette ville pour d'ici les aller combattre, si ne faites aucune faute ; car à cette fois git le recouvrement ou perdition du pays. Adieu, écrit à Rennes, ce 16 avril 1488. Signé : Le duc d'Orléans, de Milan et de Valois, le tout votre Loys (1). »

Anne de Bretagne a rendu plus tard témoignage elle-même du courage des assiégés et de la valeur de Gilles de Condest, l'un des capitaines de Châteaubriant. Ce brave soldat, dit la bonne duchesse, « soutint et porta le feix et charge, tant luy que ses gens et autres estant à la garde de Châteaubriant, de quatre ou cinq assauts qui par les Français furent donnés à ladite place. » Mais les assiégés résistèrent avec tant de vigueur que « les Français ne purent nullement entrer d'assaut en icelle place, ainsi lesdits Français y perdirent grand nombre de leurs gens (2). »

Toutefois, dit Lobineau, en moins de trois jours il y eut une grande brèche ouverte dans les murs de notre ville ; ce fut là qu'on « vit de part et d'autre des actions d'une valeur extraordinaire. » Malheureusement les assiégés ne furent pas secourus à temps, quelque soin qu'eut mis le duc de Bretagne a expédier des ordres pour cela. Après huit jours d'une défense très-vive, les assiégés, affaiblis par tant d'assauts, furent forcés de capituler le 23 avril, et de livrer leur place au roi de France (3). « Le château fut abattu, aussi bien que la plupart des tours et une partie des murs de la ville, tellement qu'aujourd'hui reste seulement la marque de l'ancienne forteresse (4). »

Peu de temps après ce désastre, François de Laval, seigneur de Châteaubriant, commandait une partie des troupes bretonnes à Saint-Aubin-du-Cormier et y voyait périr ce qui restait de l'armée ducale (5) (28 juillet 1488). Comme sa mère, dont le château venait d'être détruit, François de Laval expiait cruellement la faute commise précédemment par le traité de Châteaubriant.

Tout paraissait perdu pour le duc de Bretagne ; le malheureux François II se vit obliger de demander au roi de France la paix de Couëron. Le seigneur de Châteaubriant fut à cette occasion l'un des ôtages du duc qui mourut de douleur, dit-on, quelques jours après la signature du traité (9 septembre 1488).

Le duc de Bretagne laissait en mourant deux filles, Anne qui devint duchesse de Bretagne et plus tard reine de France, et Isabeau, qui mourut jeune. Ces deux princesses étaient élevées par Françoise de Dinan, et leur père, tout en nommant, par son testament, le maréchal de Rieux leur tuteur, ordonna cependant qu'elles demeurâssent toujours en la garde de la dame de Châteaubriant, leur gouvernante.

On ne sait pas au juste quand Françoise de Dinan reçut cette importante charge de gouvernante des princesses de Bretagne ; il est toutefois vraisemblable que ce fut peu de temps avant la mort du duc François II, puisqu'à cette époque Anne de Bretagne n'avait encore que onze ans. On a jugé diversement la conduite de Mme de Châteaubriant vis-à-vis de son élève. Il peut bien être que Françoise de Dinan se ménagea dans le palais ducal une autorité sans bornes, après la mort de François II (6), mais il n'en est pas moins vrai que « cette dame, pour laquelle Anne conserva toujours un respect presque filial, mit dans le cœur de la jeune princesse les germes de toutes les vertus, qui lui valurent plus tard l'amour de son peuple et l'estime même de ses ennemis (7). »

On a surtout reproché à Mme de Châteaubriant les efforts qu'elle fit pour faire Anne de Bretagne épouser Alain, sire d'Albret, et parce que ce seigneur était demi-frère de Françoise de Dinan (8). On a cru qu'il ne s'agissait que d'une intrigue de famille habilement ourdie par la gouvernante de la princesse. Cependant, à considérer les choses plus attentivement, on trouve, avec M. de la Borderie, un plus noble mobile dans la conduite de Mme de Châteaubriant.

Le maréchal de Rieux, le plus influent seigneur du duché avec lequel Françoise de Dinan faisait toujours cause commune, comme nous l'avons vu précédemment, était à la tête de cette faction qui voulait forcément unir Anne de Bretagne à Alain d'Albret. Mais « s'il voulait d'Albret pour duc, dit fort judicieusement M. de la Borderie, c'était surtout pour écarter les deux autres prétendants, - le fils du vicomte de Rohan et Maximilien d'Autriche, roi des Romains, - dont il eût regardé le succès comme funeste à la Bretagne : Rohan, à cause de sa trahison, autant livrer tout de suite le duché au roi (9) ; Maximilien, à cause de son éloignement, qui ne lui permettait guère (on le vit en effet) de soutenir efficacement les Bretons ; puis on craignait, avec sa puissance, son caractère despotique. D'Albret avait l'avantage de ne pouvoir en aucun cas faire un despote, d'être là sur les lieux, de s'être déjà bravement battu pour la cause bretonne, d'être tout prêt, un fois duc, à défendre son duché en désespéré ; il est vrai qu'il était vieux, laid, ventru, couperosé, chargé d'enfants (10), tolérable comme duc, peut-être comme mari insupportable, surtout pour une belle jeune princesse de douze ans (11). »

Aussi Anne de Bretagne refusa-t-elle nettement le mari que voulaient lui imposer son tuteur et sa gouvernante, et rompit ouvertement avec le maréchal de Rieux. Toutefois, voulant supprimer une mésintelligence si funeste aux intérêts bretons, la jeune duchesse n'épargna rien pour regagner à sa cause ceux qui l'avait abandonnée, et elle y réussit enfin aux États de Vannes de 1490. Non seulement Rieux se réconcilia avec sa souveraine, mais Mme de Châteaubriant fut elle-même comprise dans cet arrangement. Bien plus, Françoise de Dinan reçut de la duchesse une indemnité de 100,000 écus pour tous les dommages qu'avaient lui faire les Français depuis le commencement de la guerre, et la restitution de plusieurs pensions considérables suspendues depuis deux ans. Les lettres qu'expédia à cette occasion Anne de Bretagne à son ancienne gouvernante sont extrêmement flatteuses pour cette dernière ; la duchesse y déclare qu'elle conserve « mémoire des bons, grands, louables et honorables services que lui a faits et fait encore de jour en autre sadite cousine Françoise de Dinan, et la grande affection qu'elle a eu à sondit seigneur et père (le duc François II) que Dieu absolve (12). »







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