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Châteaubriant, baronnie, ville et paroisse



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Chapitre VII (suite)




7 janvier 1798. - Le bruit de ces rosaires égrénés par de timides femmes et quelques fervents chrétiens troubla le sommeil de nos fougueux républicains : citoyens, s'écrie le président de l'administration municipale, je suis instruit que tous les jours de dimanches et fêtes, il se fait des assemblées dans la chapelle de l'hospice civil, présidées par la directrice de cet hospice ; qu'on y récite le chapelet et oraisons vocales ; qu'on y chante des hymnes ; que sous le masque de l'hypocrisie, on y prêche le fanatisme et qu'on y entretient les personnes assez faibles pour assister à ces assemblées, dans des principes tout opposés au républicanisme. Il est temps d'y mettre ordre, et d'y employer, s'il est nécessaire, la force armée.

Cette directrice était Denise Lecomte, la même qui, chassée pour refus de serment, s'était empressée de venir à son poste dès qu'elle avait pu. - Plus de 70 personnes assistaient à ces réunions.

Le spectre blanc avait passé devant ces fiers Brutus et leur avait donné le frisson de son retour. La chapelle fut fermée, et la zélée directrice dut encore s'éloigner.

Cette municipalité ne tarda pas à donner de nouvelles marques du mauvais esprit dont elle était animée. Elle arrêta que, pour se dégrever du loyer d'un corps-de-garde situé sur la place de la Liberté, elle allait en établir un dans l'aile droite de l'église Saint-Nicolas, appelé, dans le jargon de l'époque, temple décadaire.

Et puis, comme pour insulter à l'esprit religieux qui osait réapparaître après tant de proscriptions, on s'étudia à célébrer les fêtes républicaines avec plus de scrupule et un redoublement de scandale. La fête de la souveraineté du peuple fut surtout célébrée avec une solennité toute particulière.

21 mars 1798. - A neuf heures du matin, quinze vieillards non célibataires, et quatre jeunes gens, le juge de paix et ses assesseurs, l'institutrice et ses élèves, se mirent en marche pour se rendre à la place de la Liberté. - Les quatre jeunes gens portaient chacun une bannière avec les inscriptions prescrites par l'arrêté du Directoire. Les vieillards tenaient à la main chacun une baguette blanche. - Arrivés au milieu de l'enceinte, les jeunes gens plantèrent leurs bannières aux deux côtés de l'autel de la patrie, élevé au pied de l'arbre de la liberté, entouré de verdure, de guirlandes de fleurs et de rubans tricolores ; un drapeau décorait l'autel où se voyait le livre de la Constitution.

Après des chants relatifs à la fête (1), les vieillards s'avancèrent et réunirent leurs braguettes en forme de faisceau qui fut lié avec un ruban tricolore.

Puis vinrent les discours ; les honneurs de la séance furent pour un jeune élève de 11 ans, qui prononça un discours brûlant du feu du plus ardent patriotisme, ce qui lui valut les éloges les plus flatteurs et l'accolade du président de l'administration municipale.

Pendant toute la cérémonie, le canon se fit entendre, et le soir il eut un bal, rafraîchissements, danses et enthousiasme indescriptible dans les salles de la maison commune, dit le procès-verbal.

24 février 1799. - Rien ne tenait en place sur le sol volcanique de la République : à la fin de février 1799, le maire est destitué, à cause de ses relations avec les partisans de l'anarchie, et quinze jours après, un nouveau décret le rend à la présidence du corps municipal.

Les évènements politiques se précipitaient : la nouvelle municipalité allait trouver sa fin dans le 8 brumaire de l'an VIII. - Mais, avant d'arriver à cette nouvelle phase de nos annales, il nous faut dire les derniers efforts de la chouannerie expirante.

Le 14 mai 1796, Hoche, après s'être débarrassé de Stofflet, poursuivait le cours de ses succès et annonçait que les chouans des départements de la Mayenne, de Maine-et-Loire et de la Loire-Inférieure avaient rendu les armes ; Scepeaux s'était soumis aux conditions qui lui avaient été imposées ; mais beaucoup d'émigrés rentrés en France et cachés au sein des campagnes entretenaient l'esprit d'insurrection ; la tranquillité ne pouvait donc se rétablir complètement. Châtillon avait remplacé M. de Scepeaux dans le commandement de la Haute-Bretagne, avec Dandigné pour premier lieutenant.

Le 1er juin, un premier mouvement eut lieu : 300 hommes bien armés, très-robustes et lestes, décorés de la cocarde blanche, portant à leur chapeaux l'inscription en gros caractère de : Vive le Roi ! cernèrent la foire du Grand-Auverné et ouvrirent un feu général, auquel ripostèrent les petits détachements de Moisdon et de Saint-Julien, lesquels, trop faibles, succombèrent en grande partie. Les insurgés, d'après le même récit, consigné sur le registre municipal, perdirent quelques-uns des leurs, pillèrent les marchands et se dirigèrent sur Saint-Julien, où ils s'emparèrent de tous les approvisionnements destinés à ce cantonnement.

29 septembre 1799. - Ce succès ne décidait de rien, il est vrai ; mais il préparait à un soulèvement plus général, qui se fit à la fin de septembre. Un nombre considérable de royalistes se montra aux environs de Châteaubriant, et tous les jours leur nombre augmentait. La ville est de nouveau mise en état de défense contre une surprise ; les portes sont bouchées, les portes des maisons particulières donnant sur les remparts sont murées : les particuliers des faubourgs désarmés ; on achève d'enlever de la malheureuse église Saint-Nicolas les barres de fer de ses croisées, sa balustrade, toutes les ferrures qui y restaient encore, pour s'en servir dans les travaux de fortifications (2).

20 octobre 1799. - Châtillon et Dandigné, après une série de succès, rassemblèrent toutes ces bandes disséminées autour de notre ville et se portèrent sur Nantes, où ils entrèrent d'abord, mais qu'il leur fallut enfin abandonner. Le chef-lieu, une fois dégagé, envoya à Châteaubriant un détachement de sa garde nationale pour garder les murs, pendant que les troupes de la garnison tenaient la campagne et donnaient la chasse aux bandes armées. Les craintes n'en étaient pas moins grandes, car partout les amis du roi avaient repris l'offensive. L'agent national Bongérard était allé à Nantes presser les secours. La lettre qu'il écrit à la municipalité jettera un grand jour sur la position de Châteaubriant dans cette nouvelle crise :

« Nantes, 9 brumaire an VIII, 11 heures du soir.

» Qu'il est doux, qu'il est consolant pour moi, mes chers camarades, de pouvoir vous annoncer que vos craintes, vos inquiétudes vont cesser : vous recevrez de la troupe avec la présente.

» En recevant votre lettre, nous avons été chez le général, dont la première réponse a été négative. Il promettait des renforts pour quelques jours, mais quelques jours suffisaient peut-être pour éclairer notre perte ! Les choses en étaient sur ce pied-là, lorsqu'il nous a fait connaître le parti qu'il prenait de faire replier Nozay sur Châteaubriant.

» Il a dû sans doute en coûter au général de lever ce poste, dont l'utilité est suffisamment connus de tout le monde, tant à cause du bon esprit des habitants, que par rapport à la communication avec Rennes et l'état-major de l'armée. Toujours est-il, mes chers amis, que vous voilà, avec un renfort d'environ 200 hommes, absolument hors de dangers…..

» Votre concitoyen et ami,

» Bongérard. »

Le même jour, et à la suite de son entretien avec le citoyen Bongérard, le général Grigny écrivait au citoyen Drugeon, commandant l'arrondissement de Nozay :

« Quelle que soit l'importance du poste de Nozay par rapport à la communication entre moi et Rennes, il m'est impossible de vous renforcer. Aussi, si vous voulez tenir Nozay avec ce que vous avez, je ne suis point rassuré. Je vous conseille même de prendre tout votre monde et de vous rendre en bon ordre à Châteaubriant que je ne trouve pas assez fort. J'ai évacué Nort ; vous êtes trop isolé, trop faible. Réfléchissez, citoyen. Si vous m'en croyez, vous vous rendrez à Châteaubriant, vous y déclarerez la ville en état de siège. Elle fourmille de grains ; elle a des bestiaux, il existe des bons dans la caisse du percepteur : voilà mon avis.

» Comment voulez-vous que je songe à renforcer Nozay ? Nantes est menacé de nouveau ; la Vendée de la rive gauche se réorganise avec fureur ; on attaque le Croisic, on cerne Ancenis, et vous êtes trop faibles à ma connaissance pour répondre que Nozay ne soit pas pris et désarmé.

» Déjà on publie que dans Nozay je dois faire sacrifier les enfants des Nantais que je vous ai donnés, seules troupes que j'avais à ma disposition, lorsque vous réclamâtes avec tant de force la réoccupation de Nozay. Ce ne sera pas pour longtemps que vous serez à Châteaubriant, sans doute. Alors, je réoccuperai mes postes. Jamais je ne me trouvai dans une position plus affreuse que celle où je me trouve ; je tremble pour votre poste. D'ailleurs, Châteaubriant a besoin de monde : c'est une place tenable, importante, qui arrête l'Ille-et-Vilaine, la Mayenne et Maine-et-Loire ; portez-vous-y, je vous en donne l'ordre formel.

» La communication de Nantes à Rennes est d'ailleurs interrompue dans d'autres endroits.

» Adieu, citoyen Drugeon, les malheurs qui nous accablent ne sont pas mon ouvrage, le ciel en est témoin !

» Grigny. »

Et l'état de siège fut proclamé pour la seconde fois, dans la même année !

Ce fut le dernier effort des défenseurs de la religion et de la royauté. Celle-ci ne sut tirer parti ni de leur fidélité, ni de leur courage ; souvent, il leur manqua un chef, toujours la présence d'un de ces princes pour lesquels ils versaient leur sang. Ce qui perdit une cause si belle, ce fut la timidité, l'indécision, la perfidie de l'Angleterre et les fausses manœuvres des agences royales qui se mêlèrent de diriger les mouvements militaires. Mais qu'on ne s'y trompe pas : Si Bretons et Vendéens ont, pendant dix années, opposé leurs héroïques poitrines au colosse de la République, ce fut tout d'abord pour défendre leur religion et leurs prêtres exilés.

Le premier Consul leur a rendu cette justice, quand il proclama que les paysans de L'Ouest avaient bien mérité de la patrie, en combattant pour leurs autels. Cette longue lutte, qu'il appelait une lutte de géants, lui fit comprendre toute la force du catholicisme sur ces âmes étrangères à la corruption du siècle. Aussi, du moment où il leur rendit leur prêtres et le libre exercice de leur religion, il fit tomber les armes de leurs mains. Le petit nombre d'individus qui continuèrent à courir les campagnes, en y exerçant toutes sortes de violences, n'appartiennent plus à la vraie chouannerie, et ne méritent pas que nous nous occupions de leurs brigandages.

Pour nous, qui avons recueilli péniblement tous les détails qui précèdent, il nous est permis d'éprouver quelque satisfaction, en pensant que nous avons restitué à ce pays sa véritable physionomie et fait connaître son caractère original dans le rôle qu'il joua à cette désastreuse époque.

Les sentiments religieux et monarchiques de cette ville et des environs ne sauraient être mis en doute. Les étrangers et les idées qui, pendant ces trente dernières années, ont passé sur ce sol, ou s'y sont établis, ont pu, un instant, tromper l'opinion et altérer les convictions traditionnelles de ses populations, mais les faits sont là désormais pour attester à la génération présente ce que furent les générations qui l'ont précédée. Ce qui nous reste à dire achèvera de porter la conviction dans les esprits les plus prévenus.







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