Janvier 2023 : Cet ouvrage vient d'être réédité, en tirage à la demande. Il s'agit d'une nouvelle édition entièrement recomposée, identique à l'édition originale, et non d'un fac-similé de mauvaise qualité. L'ouvrage de 370 pages est disponible en grand format (18x25cm) en version brochée (couverture souple), en version reliée (couverture rigide), ou bien en 4 petits fascicules à prix étudié, reprenant chacun une des quatre grandes parties de l'ouvrage). Une version Kindle est également disponible.
L'objectif de cette réédition était uniquement de proposer une lecture plus facile et agréable, et pour cela, l'ouvrage a entièrement été remis en page. Pour aider le lecteur à actualiser ses connaissances, une bibliographie mise à jour a été ajouté.
Pour assurer une domination qu'elle compromettait de jour en jour par les plus abominables excès, la Convention avait décrété la formation des comités de surveillance dans toutes les communes. Ce comité se composait de 12 membres pris exclusivement parmi les roturiers. Furent élus à Châteaubriant douze citoyens dont nous taisons les noms selon la loi que nous nous sommes imposée dans le cours de ces tristes récits. La première séance fut consacrée à former la liste de tous les suspects, nobles, employés de nobles, et tous autres gens qualifiés du joli nom de calotinocrates.
Après des braves occupations, il y en avait d'autres que nous avons passées sous silence, comme les réquisitions des cuirs, des charrettes, des cloches, des grains, des avoines, etc., qu'il fallait envoyer à Nantes, pendant qu'à notre hôpital les pauvres mouraient de faim. C'était là les loisirs que procurait la République à ses serviteurs pendant les douceurs de la paix.
21 octobre. Mais ce qui lui était moins facile, c'était d'arrêter l'élan de ce peuple géant, qui aimait mieux mourir les armes à la main que de se laisser pousser bêtement, comme un vil troupeau, sous le couteau de la guillotine. Pendant tout ce mois, le bruit du canon que l'on entendait fréquemment retentir sur les bords de la Loire, tint Châteaubriant en alarmes. La nouvelle arrive que l'armée vendéenne a passé la Loire et s'est emparée de Varades et d'Ancenis. Le poste qui défendit Candé a été forcé, et ses défenseurs viennent se réfugier en nos murs. D'un autre côté, Bain et Héric sont en pleine insurrection. Le district est environné d'ennemis ; à chaque instant, on s'attend à les voir paraître. Cependant la ville n'était point dépourvue de soldats ; les généraux républicains y avaient concentré de 4 à 5,000 hommes. Tous les ouvriers mis en réquisition étaient occupés à mettre le château en état de défense. Le comité de surveillance approvisionne la ville de munitions de guerre et de bouche ; prend diverses dispositions relativement aux murs et aux portes de ville ; fait murer les portes de Saint-Michel et de la Poterne ; ordonne aux habitants, en cas d'attaque, de sortir de leurs maisons et d'en ouvrir toutes les portes et issues qui conduisent aux remparts. Il propose même à Chevalier, commandant de place, de faire sortir de la ville toutes les bouches inutiles que la crainte de l'ennemi avait fait s'y réfugier. Les prisonniers politiques, au nombre de 56, avaient déjà été dirigés sur Rennes. Chaque soir on illuminait la ville et les faubourgs pour éviter une surprise.
Ces prisonniers politiques, dont nous venons de parler, n'étaient autres que les habitants suspects dont on voulait se défaire. Ils nous rappellent, de point en point, la triste histoire des 132 Nantais destinés par Carrier à être massacrés dans le voyage. Si ce n'est Carrier, ce fut son lieutenant à Châteaubriant qui ourdit cette trame scélérate. Nous n'avons pu recueillir tous les noms de ces proscrits ; dans leurs rangs se trouvaient :
Le comité de la société populaire agita la question du chemin qu'on devait leur faire suivre : les uns opinaient pour la route de Bain, parce qu'on attendait un bataillon qui devait arriver par cette route et qu'on voulait s'en servir pour fusiller les malheureux prisonniers pendant le trajet ; les autres prétendirent que ce détachement viendrait par Thouzy, Janzé et Martigné, et que c'était de ce côté qu'il fallait les diriger. Ce fut ce dernier avis qui prévalut et qui sauva la vie aux 6 proscrits, car le bataillon suivait la route de Bain. On les fit tous monter sur des charrettes qu'accompagna un détachement de la garde nationale, commandé par le citoyen X , et on se mit en route. Ils couchèrent à Corps-Nuds, sur un peu de paille, dans l'église ; on eut l'attention de les laisser insulter par les cent-sous du pays. Arrivés à Rennes, ils subirent un premier interrogatoire. Les juges manifestèrent, dit-on, leur surprise de voir parmi ces honnêtes citoyens un pauvre vieillard aveugle, auquel son âge et sa cruelle infirmité ne donnaient guère l'apparence d'un conspirateur. Il n'en fut pas moins incarcéré avec ses compagnons jusqu'à la chute de Robespierre.
Mais revenons à Châteaubriant.
29 octobre. Tout était disposé pour la défense et même pour soutenir un siège, quand soudain on apprend que l'armée républicaine a été mise en déroute à Craon, et qu'il est nécessaire de mettre la caisse du receveur en sûreté. Le général Ollasnier ne se croit pas en sûreté avec ses 4,000 hommes ; et, persuadé que l'armée vendéenne est en marche sur Châteaubriant, il abandonne son poste et fit retraite sur Rennes, suivi de toutes les autorités et de bien d'autres personnes que leur conduite et leurs actes exposaient à la vengeance des royalistes : ils étaient environ quarante. Ils emportaient avec eux toutes l'argenterie et tout ce qu'ils purent des munitions rassemblées dans la ville, de peur qu'elles ne tombassent entre les mains de l'ennemis.
12 novembre. Les craintes ne furent pas de longue durée; on sur bientôt que l'armée royaliste s'était dirigée sur Angers et Laval ; de sorte que, après quelques jours d'absence, les fugitifs purent revenir, drapeau en tête, à Châteaubriant, où ils allaient trouver des forces suffisantes pour les protéger.
En effet, quand on sut qu'Angers était menacé, les armées de l'Ouest, des côtes de Brest et de Cherbourg, envoyèrent de fortes divisions qui vinrent opérer leur jonction à Châteaubriant. Une première division de 10,000 hommes arriva quatre jours avant les autres; une seconde de 3,000 suivit de près ; et enfin le 1er décembre, 37,000 hommes inondaient les rues et les faubourgs, les places, les maisons particulières et les édifices publics. Il est impossible de se faire une idée des réquisitions de toute espèce dont durent écrasés les malheureux habitants. Il fallait satisfaire à tous les besoins, à toutes les exigences de ces frères d'armes affamés eux et leurs chevaux, glacés par un froid excessif, sans souliers et presque sans habits.
Les fournitures étaient réclamées au nom des représentants du peuple qui accompagnaient les armées ; et, sous peine de mort, il fallait répondre à l'appel qui était fait (1).
21 novembre. Plantation de l'arbre de la liberté. Elle se fit avec le concours de toutes les autorités, d'une foule d'hommes et de femmes du peuple, avec force chants et danses patriotiques. On le coiffa de l'horrible bonnet ; on le décora de devises mensongères et surtout on l'arrosa copieusement pour lui faire prendre racines.
Le 3 décembre, dans la nuit, presque au moment du départ de toute cette armée, eut lieu une scène dont le dénouement faillit devenir fatal à plusieurs de ceux qui y prirent part.
Le général Rossignol, parti de Rennes, était arrivé à Châteaubriant avec Robert, son chef d'état-major, et les représentants du peuple Bourbotte, Prieur et Tureau, qui reçurent au même instant de leurs collègues, enfermés, dans Angers, une lettre par laquelle ils les pressaient de faire avancer des troupes, annonçant que les Vendéens étaient devant la ville et en occupaient les faubourgs. Les représentants demandèrent à Rossignol pourquoi la colonne de Châteaubriant ne s'était pas déjà portée en avant. Rossignol, ennemi de la plupart des généraux qui l'entouraient, tous plus braves et plus habiles que lui, ne s'occupait qu'à le dénoncer. Pour le fait dont il s'agit ici, il rejeta la faute sur le brave Marceau. Ce jeune général fut appelé, et c'est lors qu'eut lieu une scène des plus vives, que Kléber a rapporté tout au long dans ses mémoires. Quoique la justification fût facile pour Marceau, on feignit de ne pas vouloir l'écouter. Rossignol, sous prétexte d'une indisposition, l'avait laissé seul aux prises avec les représentants. Enfin, après avoir beaucoup crié, Prieur (2) finit par dire au général : « Au surplus, nous savons bien que c'est moins ta faute que celle de Kléber qui t'a conseillé, et dès demain nous établirons un tribunal pour le faire guillotiner. »
Marceau revint, ému de douleur, rapporte Kléber lui-même ; il me rapporta ce qui venait de se passer. Il était onze heures du soir ; je me rends, malgré l'heure avancée, chez les représentants, pour avoir une explication. Je les trouve couchés, excepté Tureau : on ne profère pas une parole à mon arrivée. Enveloppé dans mon manteau, je me promène pendant dix minutes dans la chambre, sans mot dire, lorsqu'enfin Prieur s'écria :
- Eh bien ! Kléber, que pense-tu d'Angers ?
- Ce que j'en ai pensé il y a trois jours, répondis-je froidement, lorsqu'au conseil de guerre j'ai proposé d'y envoyer la brigade Beaucret.
- Mais sais-tu que deux représentants y sont enfermés ?
- Je l'ignore ; mais j'ai la certitude qu'il y a à Angers 4,000 hommes de garnison et une population considérable, et, en plus, le général Beaupuy.
- Allons, Kléber, reprit Prieur d'un ton affable, il faut marcher ; et si Rossignol s'était expliqué, depuis deux jours on serait devant Angers.
- Ce n'est donc ni à Marceau, ni à moi qu'il faut s'en prendre, répliquai-je d'un ton sec et bref, si nous sommes encore ici !
- Allons, Kléber, allons Vive la République !
C'et ainsi, continue Kléber, que finit cette scène qu'un seul mot aurait pu conduire à la plus terrible catastrophe