Janvier 2023 : Cet ouvrage vient d'être réédité, en tirage à la demande. Il s'agit d'une nouvelle édition entièrement recomposée, identique à l'édition originale, et non d'un fac-similé de mauvaise qualité. L'ouvrage de 370 pages est disponible en grand format (18x25cm) en version brochée (couverture souple), en version reliée (couverture rigide), ou bien en 4 petits fascicules à prix étudié, reprenant chacun une des quatre grandes parties de l'ouvrage). Une version Kindle est également disponible.

L'objectif de cette réédition était uniquement de proposer une lecture plus facile et agréable, et pour cela, l'ouvrage a entièrement été remis en page. Pour aider le lecteur à actualiser ses connaissances, une bibliographie mise à jour a été ajouté.

Châteaubriant, baronnie, ville et paroisse



Accueil
Chapitre IV (suite).




23 mars. – Observons que, pendant les troubles qui eurent lieu de mars à juillet, Châteaubriant fut toujours secouru très-activement par la Guerche, Rhetiers et les environs. Nulle part la Révolution n'avait plus exalté les esprits qu'en ces campagnes.

Lors du siége de Nantes, au 29 juin, nous y trouvons un bataillon de ces volontaires qui s'y distingua par sa bravoure. C'est quelque chose de phénoménal, au milieu de notre Bretagne, que cette ardeur révolutionnaire qui s'étendait généralement sur tout le pays compris entre Rennes et Châteaubriant. Cependant, en considérant les mœurs dures et incultes, le caractère sauvage de ces populations séparées des grandes villes par des chemins impraticables, restées étrangères à la civilisation par la nature d'un pays humide et couvert de forêts, on comprendra mieux l'analogie qui existait entre ces hommes et les lois sanguinaires d'un gouvernement qui favorisait tous leurs instincts.

La pauvreté, disons mieux, la misère des habitants de ces campagnes n'avait d'égale que leur malpropreté. Attachés à un sol mal cultivé, mal nourris, mal logés; vêtus, hommes et femmes, d'une toile grossière, beaucoup étaient dévorés par la vermine ; heureux quand un membre de la famille possédait un habit plus propre ! Alors, pour aller à la messe, l'on attendait que l'autre fût revenu, pour s'en revêtir à son tour. Avec quelle avidité ces gens-là ne devaient-ils pas se jeter sur les biens et les terres de l'Eglise et des nobles (1) ! Les gars de Baies, près La Guerche, se distinguaient entre tous par leur exaltation féroce. Ils étaient redoutés pour l'espèce d'arme dont ils se servaient : c'était un instrument appelé taille-marc, emmanché au bout d'un long bois, et qui, dans leurs mains, devenait une arme aussi effrayante à voir qu'elle était meurtrière. C'est avec ce coupe-tête qu'ils sortaient pour leurs expéditions incendiaires. – Rentrés chez eux, ils se livraient à une autre industrie.

Ils passaient leurs journées à la chasse, non aux lièvres ni aux sangliers, mais aux chouans. Ils avaient, à cet effet, dressé des chiens qui couraient la campagne et dépistaient les malheureux cachés dans les bois ou les genêts; ils les faisaient lever et les livraient ainsi aux coups de fusils de leurs maîtres. Ces journées se payaient cent sous : c'est pour cela qu'on appela longtemps les habitants de cette commune les Cent-Sous de Baies. On en disait autant de ceux de Rhetiers. C'est horrible ! Fait-on mieux chez les Peaux-Rouges de la sauvage Amérique ?

Tels étaient les braves qui allèrent incendier le Ponthus, comme ils avaient déjà brûlé les châteaux de leur contrée, et notamment ceux de Martigné et de la Séguintière.

15 avril 1793. – Les mesures prises par le Directoire du district avec autant d'énergie que de promptitude, rétablirent bientôt les communications; l'effervescence se calma, du moins en apparence, et le recrutement des trois cent mille hommes; abandonné pendant ces jours de tumulte, put recommencer sans la protection des baïonnettes.

30 mai. – On est tout étonné de rencontrer, dans les rues de Châteaubriant, une procession de la Fête-Dieu, à laquelle assistent les corps militaires, administratifs et judiciaires. Quel ordre, quelle décence pouvaient régner dans ces vaines pompes d'un culte schismatique et frappé d'anathèmes ? Ce n'est plus la religion de Jésus-Christ, ce n'est que la religion des gardes nationaux. A ce triste spectacle, le cœur des vrais fidèles se sera fendu de douleur, et, renfermés dans le secret de leurs demeures, ils auront laissé couler leurs larmes au souvenir des fêtes de Sion. Et pourtant ce n'était qu'un prélude à de plus audacieux sacriléges; à ces multitudes d'âmes prêtes à tous les genres de servitude, la Convention préparait d'autres prêtres et un autre Dieu.

9 juin. - Le calme dont jouit le pays ne fut pas de longue durée. Dès les premiers jours de juin, s'amoncelèrent les nuages précurseurs de la tempête. On s'agitait à Erbray, à Saint-Julien, à Soudan, etc. Des chefs royalistes parcouraient la contrée et la poussaient à s'armer pour seconder les opérations de l'armée vendéenne. Le 13, Ancenis et Candé tombent au pouvoir des insurgés. Le 28, Nort est enlevé aux républicains, malgré l'héroïque défense de Meuris et de son intrépide bataillon. Le 29, Nantes est attaqué de tous les côtés par les Vendéens, dont la fortune trahit les armes. Le bruit n'en courut pas moins, à Châteaubriant, que le chef-lieu avait succombé et que c'en était fait des patriotes.

30 juin. – A cette nouvelle, l'émeute éclate au sein de la ville. Tous ceux dont la conscience n'a pu se plier aux nouveaux principes confondent leurs plaintes et leurs murmures. On ne fait venir des troupes que pour affamer le peuple, disait-on; il n'en est nul besoin. Le rassemblement se forme dans l'église; la cloche sonne pour appeler tous les citoyens à signer une pétition dans laquelle on demande aux autorités de donner contrordre aux troupes mandées de Vitré. Le maire arrive ; il entend proférer contre lui des menaces dont il s'effraye, et il signe comme les autres. Mais les plus malins devinent le complot et se retirent. De l'église, le rassemblement se porte à l'administration, s'en fait ouvrir les portes, et (qui oserait le croire ?) force les timides magistrats à révoquer l'ordre donné, et à envoyer un courrier contremander le départ des troupes. Le but du complot, dans l'intention de ses auteurs, était de renverser l'administration et de secouer le joug qui les écrasait. Mais comment pouvaient-ils se flatter de réussir ? Il est croyable qu'ils voulaient faire une utile diversion en faveur de leurs frères qui combattaient non loin d'eux, en arrêtant les forces qui devaient les accabler.

Quoi qu'il en soit, c'était un piége, et nos administrateurs furent bien honteux de s'y être laissé prendre. On apprit bientôt que la nouvelle de la prise de Nantes était fausse ; et, la panique passée, ce ne fut qu'accusations, dénonciations et procès-verbaux contre les séditieux auteurs du complot à qui, en fin de compte, on fit plus de peur que de mal.

La révolte de la Vendée prenait des proportions de plus en plus menaçantes. Cent mille hommes se levaient en armes pour défendre leurs foyers et leurs autels, et battaient les meilleurs généraux de la République. Ces succès troublaient le repos de la Convention et lui faisaient trouver des soldats partout où il y avait des hommes. Pour garder la rive droite de la Loire, Châteaubriant fut imposé à fournir 50 hommes qui se succédaient à Ancenis, de quinze jours en quinze jours. Puis, le laboureur dut abandonner sa ferme au premier appel, et s'en aller avec sa charrette et ses bœufs, des cordages et des vivre pour huit jours, sans savoir où ni pourquoi. Comment le paysan breton, naturellement si intéressé et si apathique, aurait-il pu s'affectionner à un régime qui faisait une telle violence à tous ses instincts ?

Aucun événement remarquable ne se produisit dans les trois mois qui suivirent. En juillet, la municipalité fit enlever des forges de Moisdon 310 boulets, dans la crainte qu'ils ne tombâssent entre les mains des ennemis. – Un détachement de Vitré et de la Guerche, en garnison dans notre ville, fit une petite expédition sur la Chapelle-Glain, où l'arbre de la liberté avait été abattu, les archives de la mairie brûlées, et où l'on avait voulu s'opposer à l'enlèvement de trois cents boisseaux de grains renfermés au château de la Motte.

L'an II de la République commence (22 septembre 1792) : alors Robespierre promenait ses fureurs sur la France (2). Une bête féroce, descendue des montagnes de l'Auvergne, un tigre à face humaine, un monstre vomi par l'enfer pour détruire les hommes versant leur sang à plaisir, Carrier enfin, arrive à Nantes pour y faire régner la Terreur pendant un siècle de quatre mois (3). La Terreur ne fut pas un gouvernement, puisque la Constitution était suspendue; ce fut un régime exceptionnel, semblable à l'état de siège dans une cité. La France va devenir un vaste camp où tous les citoyens seront soldats; l'armée absorbera tout et sera tout.

10 août. – Fête de la fédération célébrée sur le Champ-de-Foire avec serment sur l'autel de la Patrie, au chant de la Marseillaise et de l'hymne de la Réunion.

25 août. – 500 hommes sont demandés au district pour aller garder Ancenis.

Châteaubriant va nécessairement se ressentir de cet état violent et du voisinage de Carrier. Nous allons voir comment la malheureuse ville si maltraitée, si ruinée par les guerres du moyen-âge et de la Ligue, va traverser cette nouvelle et terrible épreuve.

27 octobre 1793. – Deux drapeaux rouges, flottant à la municipalité et à l'administration du District, inaugurent l'ère nouvelle. La plantation s'en fit solennellement en présence de tous les corps militaires et administratifs et de la force armée. De retour sur la place Saint-Nicolas, en face de la mairie, on fit un amas des titres des prieurés de Béré et de Saint-Michel, ainsi que des ci-devant seigneurs, et on y mit le feu aux cris de : Vive la République ! – Quelques jours après, le Directoire ordonna d'en faire autant touchant les archives du château. Sur cet ordre barbare, tout fut mis au pillage ; le reste fut consumé par les flammes avec accompagnement de danses frénétiques et du chant de la Carmagnole. La bibliothèque était riche et le trésor des archives extrêmement précieux (4). Quelle perte pour l'histoire ! Les Vandales se retrouvent en tout temps et en tout pays.

Le bruit des cloches éveilla toujours les remords de l'impie ; pour protéger le repos de ses enfants, la Convention avait statué qu'il n'en serait laissé qu'une dans chaque paroisse. Le Conseil général de la commune, déférant à ce décret avec autant de servilité qu'à tous les autres, et considérant que l'église de Saint-Nicolas leur sera plus commode que celle de Béré, arrêta que toutes les cloches (il y en avait au moins trois) de cette dernière seraient descendues, ainsi que celles de la ville, sauf l'horloge, et que la grosse cloche de Béré serait transportée dans l'église de Saint-Nicolas. Elle n'y demeura pas longtemps, puisqu'on l'en tirait le 4 avril 1794.







Compteur