Janvier 2023 : Cet ouvrage vient d'être réédité, en tirage à la demande. Il s'agit d'une nouvelle édition entièrement recomposée, identique à l'édition originale, et non d'un fac-similé de mauvaise qualité. L'ouvrage de 370 pages est disponible en grand format (18x25cm) en version brochée (couverture souple), en version reliée (couverture rigide), ou bien en 4 petits fascicules à prix étudié, reprenant chacun une des quatre grandes parties de l'ouvrage). Une version Kindle est également disponible.

L'objectif de cette réédition était uniquement de proposer une lecture plus facile et agréable, et pour cela, l'ouvrage a entièrement été remis en page. Pour aider le lecteur à actualiser ses connaissances, une bibliographie mise à jour a été ajouté.

Châteaubriant, baronnie, ville et paroisse



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Chapitre V




1er février 1794. - La Société décrète qu'on engagera le citoyen Turoche à ne plus dire la messe à heure fixe, le dimanche ; à ne plus annoncer ses offices au son de la cloche ; à ne plus annoncer d'autres fêtes que les décades. Deux de ses membres se transportent, en conséquence, à la municipalité pour lui exprimer ses vœux. Ils demandent encore que ledit Turoche vienne au sein d'une société où il est désiré et y apporte ses lettres de prêtrise, afin que ces titres qui rappellent nos malheurs n'existent plus chez un homme fait pour avoir celui de républicain.

Le citoyen curé comparut donc devant l'assemblée du Conseil général de la commune et déclara se soumettre en tout à la loi et, de plus, que si la commune pense que l'exercice de ses fonctions puisse occasionner quelque trouble, il est trop désireux de la paix et chérit trop le bonheur de ses concitoyens pour les vouloir continuer. Quant à ses lettres, il est disposé à les livrer dès que la loi les lui demandera. Mais, comme il ne se hâtait pas de le faire, on l'accuse d'être aristocrate et on menace de le recommander à la Convention. Nolet, son confrère, propose de le destituer de sa charge d'officier public ; d'autres le soupçonnent d'être à la tête d'une coalition.

Enfin, on fit une descente chez lui pour enlever tout ce qu'il avait encore de vases sacrés, et le mettre ainsi hors d'état d'exercer aucune fonction sacerdotale. Il ne lui avait donc servi de rien de prêter le serment et de livrer ses lettres sacerdotales ! Fatigué de ces vexations, il se présente à la municipalité et y inscrit la déclaration suivante :

« Appelé, il y a trois ans, dans cette commune par l'élection d'un peuple libre, pour y exercer les fonctions de ministre catholique soumis à la loi, je m'y suis rendu et me suis acquitté de mes devoirs avec toute la fidélité qui a dépendu de moi. Aujourd'hui, après les réclamations de plusieurs, il paraît que l'exercice de ces même fonctions pourrait exciter du trouble ; comme je serais fâché d'en être la cause, et que je ne désire rien tant que la paix et le bonheur de mes concitoyens, je déclare que je ne veux plus continuer l'exercice des fonctions qui m'avaient été confiées, à moins que la loi n'en ordonne autrement.

» Je ne demande qu'à rester paisible cultivateur des terres dont je suis acquéreur et fermier, promettant da faire tout ce que pourrai pour le maintien de la République, dont je serai toujours le zélé partisan. »

Sa retraite laissait une place vide dans le conseil municipal. Désormais, retiré dans un bien national qu'il avait acheté à Rhetiers, son pays natal, Châteaubriant ne le vit plus qu'autant qu'il était nécessaire pour assurer sa paisible existence et sa scandaleuse fortune (1). Il y vint au milieu du mois d'avril, pour faire à la patrie l'abandon d'une partie de la pension que lui faisait la République, acte qui lui valut enfin les félicitations de la Société républicaine et l'assurance d'une mention de son civisme incontestable près de la Convention.

Autant le curé constitutionnel était timide, autant Vannier, son vicaire, était audacieux et entreprenant. Il était du Mans et avait été moine dans un monastère, d'où il s'était enfui au commencement de la Révolution. Il passa à Saint-Brieuc ou à Tréguier, puis il vint à Châteaubriant, où on le vit exercer des fonctions bien différentes de celles du sacré ministère. Sommé par la Société républicaine, dont il était membre, de livrer ses lettres d'ordination, il répondit qu'il ne le pouvait, parce qu'elles étaient restées dans son monastère, mais qu'il abdiquait les fonctions de son état, et il signa cet acte d'apostasie. Il se maria et devint secrétaire du club, dont il se montra l'un des agents les plus actifs et le plus redouté. Tel était la violence de ses discours et de ses actes, au milieu des séances, qu'on avait bien de la peine à rétablir l'ordre qu'il ne cessait de troubler. Il se fit le dénonciateur, disons plutôt le persécuteur de ses frères et de tous ceux qui ne partageaient pas ses opinions, se chargeant de toutes les missions, même les plus sacrilèges. Puissent ses mains ne s'être pas teintes du sang de ses frères ! Il était l'un des trois terroristes qui furent accusés de pillage, fusillades et autres actes arbitraires ; il fut dénoncé près des représentants du peuple à Nantes et emprisonné. Il échappa à ce danger, car nous le voyons chercher ici un métier pour vivre ; on lui refusa la place de préposé aux subsistances pour les armées en marche. Au mois de juillet 1794, on le retrouve sous l'uniforme de sergent dans la garde nationale ; enfin il disparaît de la scène qu'il a trop longtemps occupée.

Nolet, moine au couvent de Saint-Martin de Teillay, avait fait le serment tout d'abord. Nommé curé constitutionnel à Saint-Aignan, dans la Vendée, il exerça en même temps diverses fonctions publiques. Une seconde nomination l'appela à Issé, d'où ses paroissiens le chassèrent. Il vint alors à Chateaubriant chercher un asile plus sûr, un emploi et…une femme. La Société républicaine l'accueillit avec faveur et en fit son secrétaire perpétuel, ce qui ne l'empêcha pas d'être en même temps secrétaire de la municipalité. S'il ne livra pas ses lettres, c'est que les brigands, dit-il les lui avaient enlevées. Mme Nolet devint institutrice des jeunes républicaines, et son mari prêtre de la Raison ; c'est lui qui donnait la main à la déesse, lorsqu'elle gravissait la Montagne, où elle allait être intronisée.

Le 26 avril 1794, nous trouvons sur le registre municipal cette déclaration patriotique : cédant à l'impulsion de son cœur et au vœu de ses concitoyens, il fait à la patrie la remise de la pension qui lui est accordée comme ci-devant prêtre. Il observe néanmoins qu'il croit devoir faire une légère réserve sur cet abandon, car il a une mère âgée de 72 ans dont il soutient la vieillesse infirme. Puis ses voyages et les délogements réitérés qu'il a été obligé de faire pour échapper à la poursuite des brigands et sauver sa fortune ; puis l'ameublement indispensable que lui a occasionné l'union qu'il vient de contracter ; tous ces motifs l'ont engagé dans des frais assez considérables, qui lui ont fait contracter des dettes dont le prompt remboursement est pour lui chose sacrée. Il demande seulement à toucher les six premiers mois de la pension que lui accorde la loi, et fait pour le reste de sa vie le généreux abandon des 800 livres de ladite pension, souhaitant par là satisfaire à sa contribution de 1793 (2).

8 février 1794. - Phelippe, curé assermenté de Saint-Vincent, affilié dès l'origine au club des sans-culottes, eut beaucoup plus de peine à convaincre ses nouveaux confrères de son civisme. Pendant qu'un tribun, pérore à la tribune sur les maux que cause le fanatisme des prêtres en général, et en particulier dudit curé, Vannier, qui ne cède à personne le rôle infâme de dénonciateur, se lève avec un autre membre et apprend que Phelippe, il est vrai, a secoué l'un des préjugés du fanatisme en se mariant, mais qu'il a rédigé un calendrier contraire à la loi, en ce qu'il prescrit des fêtes d'obligation. Il ajoute qu'il continue de percevoir des droits de ci-devant casuel, aujourd'hui supprimés, et qu'enfin, dans ses prêches, il affecte d'employer souvent le nom de royaume : ce qui prouve qu'il est partisan fanatique de la royauté. Aussitôt, il est dénoncé à l'administration du district et incarcéré.

Quatre jours après, la Société s'étant réunie extraordinairement, il est, sur sa demande, introduit par deux municipaux au milieu de l'assemblée pour faire valoir ses moyens de défense. Alors, ledit Phelippe, assis et couvert, est interpellé en ces termes par le président : Quel est ton nom ? - Qu'as-tu a dire à l'assemblée ? - Te crois-tu libre au milieu d'elle ? Après avoir dit son nom et déclaré qu'il se regardait comme très-libre, il confesse qu'il avait été, qu'il était encore et qu'il ne cesserait jamais d'être bon républicain ; qu'il croyait déjà l'avoir prouvé en se mariant ; mais que pour enlever tous les doutes à ce sujet, il promettait de déposer sur le bureau ses lettres de prêtrise, et cela dans les vingt-quatre heures, parce qu'il ne les avait pas sur lui en ce moment ; qu'il ferait plus, qu'il abdiquerait sa cure et toutes fonctions curiales et sacerdotales !… - Alors, un membre fait observer que si ses paroles sont vraies, le citoyen Phelippe doit de suite signer sur le registre son abdication, et le malheureux prêtre signe son apostasie aux applaudissements de l'assemblée ! A ce prix, il fut mis en liberté ; mais, toutefois, placé sous la surveillance très-active de la municipalité de Saint-Vincent, où il habitait. Quelques jours plus tard, ses lettres étaient brûlées au milieu du club, qui retentissait des cris de vive la Montagne ! vive la République ! et l'ex-prêtre prenait place près des Turoche, Vannier, Nolet, qu'il s'efforça d'égaler en impiété. On le vit, en effet, livrer lui-même les vases, linges et ornements de son église, et dénoncer d'autres prêtres qui, disait-il, recevaient encore de l'argent pour exercer leur charlatanisme…abyssus abyssum invocat, un abîme appelle un autre abîme.

Quand on réfléchit que ces hommes, en des temps ordinaires, eussent été dignes de leur sacré ministère, dignes du respect des âmes qui leur étaient confiées, on demeure interdit en face de la profondeur des décrets divins, et l'esprit se trouble devant les mystères de l'épreuve.







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