Janvier 2023 : Cet ouvrage vient d'être réédité, en tirage à la demande. Il s'agit d'une nouvelle édition entièrement recomposée, identique à l'édition originale, et non d'un fac-similé de mauvaise qualité. L'ouvrage de 370 pages est disponible en grand format (18x25cm) en version brochée (couverture souple), en version reliée (couverture rigide), ou bien en 4 petits fascicules à prix étudié, reprenant chacun une des quatre grandes parties de l'ouvrage). Une version Kindle est également disponible.

L'objectif de cette réédition était uniquement de proposer une lecture plus facile et agréable, et pour cela, l'ouvrage a entièrement été remis en page. Pour aider le lecteur à actualiser ses connaissances, une bibliographie mise à jour a été ajouté.

Châteaubriant, baronnie, ville et paroisse



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Chapitre IV

Françoise de Dinan

1444-1451.




Le noble prisonnier fit une dernière tentative ; il écrivit des prisons de la Hardouinaye une lettre de soumission au duc son frère, implorant son pardon ; mais au lieu de cette lettre, ses ennemis en firent porter une à François I pleine de menaces et de reproches. Profitant de cette circonstance, Louis de Rohan, chancelier de Bretagne et neveu par sa femme d'Arthur de Montauban, le rival de Gilles de Bretagne, dressa un ordre qui semblait émané du duc, de faire périr le malheureux prince.

Autorisés par cet ordre prétendu, les bourreaux de Gilles résolurent de le faire mourir de faim. « Ils le mirent dans une basse chambre du château (de la Hardouinaye) regardant sur les douves, sombre, obscure ; auquel lieu étant, ils furent un long temps sans lui donner vivres quelconques ; tellement que le pauvre prince, voyant à travers la grille de sa chambre passer quelqu'un sur le bord du fossé, était contraint de crier à la faim et demander du pain pour l'honneur de Dieu et de miséricorde ; mais il n'y avait homme qui osât faire contenance de l'ouïr. Il se trouva un jour une pauvre femme voisine du château qui, passant sur ce fossé, ouit ce cri et s'avança à la clameur de ce pauvre homme, de pitié, et se laissant couler dedans la douve et remontant par le terrain en l'endroit de la grille de la chambre basse, posa sur la fenêtre du pain tel qu'elle avait, et fit cela à couvert quelque temps, tellement qu'il en fut nourri par le temps de six semaines. Voyant à la fin qu'il ne se pouvait plus soutenir et que sa mort était délibérée, il pria cette pauvre femme de lui faire venir quelque homme de religion, homme de bien, disant se vouloir confesser. Ce qu'elle fit, lui menant à heure secrette un religieux cordelier, auquel par le travers de la grille il se confessa, et fit ce qu'il put de dernière prévoyance, lui faisant plainte de l'injure qu'on lui tenait. Et pour le dernier propos, il chargea ce religieux, l'adjurant d'aller devers le duc, et lui dire l'état auquel il l'avait laissé, et les maux qu'il souffrait et qu'il avait soufferts par son commandement à tort et injustement ; il savait bien, comme il disait, qu'il était impossible par le moyen des hommes d'en faire preuve ni prétendre raison, et que le duc son frère avait imbu tous les hommes et fait clore toute audience à son secours ; mais qu'il en attendait le jugement de Dieu et sa juste justice devant lequel il appelait le duc son frère ; et chargea le religieux de le dénoncer. »

Pendant que Gilles de Bretagne souffrait ainsi les tortures de la faim, ses geôliers, Olivier de Méel, Jean Rageart, Roussel Malestouche, Jean de la Chèze, Oreille-Pelue, etc.. s'étonnant qu'il vécût si longtemps, résolurent d'en finir avant que le duc, occupé alors au siège d'Avranches, fût de retour en Bretagne. Le 25 avril 1450, ils entrèrent donc de grand matin dans le cachot du malheureux prince, et le trouvèrent au lit, très-affaibli, mais vivant encore. Ils lui passèrent une serviette autour du cou et s'efforcèrent de l'étrangler ; Gilles, quoique très-souffrant, se défendit quelque temps avec une grosse flutte qu'il trouva sous sa main et en blessa même un de ses bourreaux. Ces derniers se jetèrent tous sur lui, et consommèrent leur crime en l'étouffant entre deux matelas.

Aussitôt qu'ils eurent ôté la vie au jeune prince, ces monstres lui bouchèrent le nez et les oreilles, de peur qu'il ne sortît du sang de son corps, et l'ayant ensuite couché dans un beau lit, comme s'il était décédé de sa mort naturelle, ils allèrent chasser le lièvre avec quelques gentilshommes du pays ; ils avaient invité exprès ces derniers à cette partie de plaisir pour prouver leur absence quand on viendrait à connaître la mort du prince. Pendant qu'ils chassaient, en effet, un garçon, qu'ils avaient instruit de ce qu'il avait à dire, vint leur apprendre que Monseigneur Gilles avait été trouvé mort dans son lit. Les fourbes parurent très-surpris et très-affligés de cette nouvelle, et cessant la chasse, ils prièrent leur compagnie de venir au château, mais on les connaissait assez pour reconnaître leur crime, et tout le monde les abandonna. Cependant Louis du Verger, abbé de Boquin, monastère voisin de la Hardouinaye, ayant appris cette mort si tragique, alla lever le corps de Gilles de Bretagne avec les moines de son abbaye, et l'inhuma le plus convenablement qu'il pût dans son église conventuelle. Geoffroy de Beaumanoir et quelques autres gentilshommes des environs assistèrent seuls à ces obsèques. On recouvrit le lieu de la sépulture d'une tombe de simple ardoise, sur laquelle on plaça la statue du malheureux prince. Quelques jours plus tard, le cordelier qui avait reçu la dernière confession de Gilles de Bretagne se présenta au duc François I et le cita, de la part de sa victime, à comparaître dans quarante jours devant le tribunal de Dieu. Le duc fut extrêmement frappé de ces paroles ; il tomba malade presqu'aussitôt, et expira le 17 juillet suivant.

Telle fut la triste vie et la fin plus lamentable encore de Gilles de Bretagne, seigneur de Chantocé et de Châteaubriant. « Ce prince, dit avec justesse un pieux et savant écrivain moderne, n'avait pas été sans commettre des fautes ; mais sa jeunesse, ses longs malheurs, sa dure captivité, appelèrent à lui la commisération du peuple. On oublia ses torts pour ne plus voir qu'un infortuné, victime de la haine et de la calomnie. On se souvint de ses belles qualités qui promettaient un brillant avenir, et quand les taches de sa vie furent effacées par cette douloureuse expiation, le peuple le regarda presque comme un martyr. »

A peine Pierre II fut-il assis sur le trône de Bretagne, qu'il s'occupa de punir les assassins de son frère ; Olivier de Méel et ses complices subirent la peine capitale ; Arthur de Montauban échappa à la justice des hommes et entra dans un couvent, où il semble avoir expié par la pénitence les fautes de sa jeunesse.

Pendant que se déroulait cette tragique histoire de Gilles de Bretagne, que devenait Françoise de Dinan ? Elle était toujours à la cour de Bretagne, surveillée de près et dépouillée de ses biens. Lorsqu'elle apprit l'assassinat du prince Gilles, elle prévit bien que le duc de Bretagne allait songer à la marier. Quoiqu'elle n'eût que treize ans, et qu'elle fût en quelque sorte captive, elle « fit bien voir, dit D. Lobineau, que l'esclavage ne peut rien sur les mouvements du cœur et de l'inclination, en signant de sa main un billet par lequel elle promettait qu'elle n'aurait jamais d'autre mari que le sire du Gavre, et qu'elle l'épouserait sitôt qu'elle serait en liberté. »

Malheureusement, François de Laval, seigneur du Gavre, n'avait pas encore quinze ans accomplis, lorsque Mme de Châteaubriant lui écrivit cette lettre ; il ne pouvait rien d'ailleurs pour elle, tant qu'elle demeurerait sous la puissance du duc Pierre. Dans cette circonstance pleine d'embarras, parut un prétendant à la main de Françoise, auquel personne ne songeait ; c'était le père même du jeune fiancé, le vieux comte de Laval, Guy XIV, veuf depuis sept ou huit ans d'Isabeau de Bretagne. Sa demande, quelque singulière qu'elle dût paraître, fut agréée du duc de Bretagne, qui la fît connaître à la jeune Françoise de Dinan.

Malgré ses promesses solennelles, cette dernière, impatiente de se voir en liberté, désespérant, semble-t-il, de pouvoir se soustraire autrement aux mains du duc, désireuse de rentrer en possession de son immense fortune, dont celui-ci jouissait depuis quatre ans, consentit à épouser le père, puisqu'elle ne pouvait épouser le fils. En donnant les mains à ce mariage, le duc Pierre II fit avec le comte de Laval, établi curateur de Françoise de Dinan, une transaction dans laquelle on inséra une donation supposée, qu'elle était censée avoir faite à feu Mgr Gilles, du tiers de tous ses biens, du consentement de Catherine de Rohan, sa mère, et de ses parents, en vertu de laquelle on supposait que le feu duc avait joui de Châteaubriant par suite de la confiscation des biens de son frère Gilles. Il fut donc réglé par cette transaction, que le duc Pierre renoncerait à toute prétention sur Châteaubriant, tandis que Françoise de Dinan renoncerait elle-même au douaire qu'elle réclamait, se disant veuve de Gilles, et aux indemnités qu'elle demandait à cause de la confiscation de sa fortune ; elle s'engagea en outre à payer les dettes de Gilles de Bretagne, et le comte de Laval donna vingt mille écus à Pierre II. On a jugé diversement ce traité, que D. Lobineau considère comme une « tache considérable à la mémoire du duc Pierre ; » mais telle était la triste position de Françoise de Dinan, qu'elle crut pouvoir faire tous les sacrifices pour recouvrer sa liberté. Plus tard, toutefois, le duc François II annula cette transaction, à la prière de Mme de Châteaubriant et avec l'assentiment du Saint-Siège.

Peu de jours après le règlement de cette affaire, Guy XIV épousa Françoise de Dinan, qui devint ainsi comtesse de Laval, tout en conservant l'administration particulière de sa baronnie de Châteaubriant. Les noces se firent solennellement à Nantes, le 4 octobre 1451, en présence, dit Le Baud, du duc de Bretagne Pierre II, du connétable de Richemont, du comte d'Etampes et de plusieurs autres seigneurs et barons des plus distingués.

Ainsi s'écoulèrent les quatorze premières années de cette jeune fille si riche, si noble, si distinguée ; elle les passa dans les larmes, dans l'abandon et dans la captivité. Mais formée à l'école de l'adversité, le caractère de Françoise fut fortement trempé ; son courage monta au niveau de son intelligence ; sa piété s'établit d'autant plus solidement dans son cœur, que ce cœur avait plus souffert. Il semblait que Dieu voulût éprouver celle qui devait plus tard avoir l'insigne honneur d'élever Anne de Bretagne « la bonne duchesse » afin que cette jeune princesse apprît un jour de sa gouvernante combien les souffrance du bas âge, si cruelles et parfois si fréquentes, peuvent être dignement supportées aux yeux des hommes et devenir méritoires aux yeux de Dieu.







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